A la sortie de Notre Inter, il y a Notre clochard.
On l'aime bien notre clochard. On l'aime bien, parcequ'il est très propre sur lui, très poli, pas embêtant, surtout on ne culpabilise pas quand on le voit. D'abord, il n'est jamais assis ni effondré par terre, non, toujours debout et fringant. Toujours souriant, sa barbe grise débrouissaillée, ses yeux bleus pétillants. Il n'est pas exigeant. Quand on lui demande ce qu'il souhaite, il répond invariablement "comme vous voulez !".
Il ne fume pas (il m'a fait la bise l'année dernière, je peux dire qu'il ne fume pas). Il ne boit pas (il n'a pas le teint fleuri). Il ne se plaint pas (on finirait par croire qu'il a choisi cette vie). Il joue au Loto (je l'ai vu l'autre jour en achetant un paquet de clopes un paquet de fraises Tagada). Il discute avec plein de monde (y a plein de bourgeoises qui doivent dire partout qu'elles ont un pote clochard).
Bref, c'est un clochard qui nous donne bonne conscience, parceque c'est un clochard heureux et qu'on peut le fréquenter sans avoir à réfléchir sur les raisons qui l'ont amené sur ce parking, sans se demander si on ne devrait pas faire plus et toutes les réflexions habituelles que nous essayons d'étouffer quand la misère nous saute à la figure.
L'année dernière, je lui avais acheté pour Noël des chaufferettes. Cette année, j'avais acheté des couvertures de survie à la pharmacie, vous savez les couvertures de survie qui vous font ressembler à de grosses papillottes dorées ou argentées, selon que vous avez trop chaud ou trop froid. Bon, il paraît que ce genre de truc, ça s'utilise vraiment quand on n'a plus rien d'autre, et que le mot "survie" prend alors tout son sens. C'est l'Homme des Steppes qui me l'a dit tout à l'heure. Je ne pouvais pas savoir, moi...
Toujours est-il que lorsque j'ai tendu cette couverture bien empaquetée à Notre clochard et qu'il a eu une petite moue accompagnée de "c'est quoi ? Oh, j'ai déjà essayé ça, c'est vraiment pas terrible", et ben voilà.
Elle est où, Ma Résolution, hein ?
J'aurais dû au choix lui balancer la couverture à la figure, ou la reprendre et refermer ma fenêtre sur ses doigts.
Au lieu de ça, c'est moi qui me suis sentie coupable, qui ai bafouillé des excuses et qui suis repartie en me demandant comment je pourrais me faire pardonner... pffff......
Bande son : l'horloge de la charité - Vincent Cros